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Vie et moeurs de monsieur Henry Dickson

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dimanche

INTERROGATOIRE 10

ET VINT LE PROFESSEUR BULLE

- D'abord un nom puis une image signalétique puis une idée

- Des idées. Des nouvelles ou des contes décrivant leur univers. Pour le roman, tout procède d'une idée. Il n'y en a pas 2. Et il n'y a pas de choix. L'idée peut devenir obsédante. Mais il faut que l'esprit et le corps suivent. Si l'idée, aussi bonne soit-elle, arrive au mauvais moment, pfff!

Chaque petit chapitre ou image était une idée. Si tout va bien, il suffit de se mettre au clavier et on entre dans l'idée. Il y a une scène, un décor, des personnages costumés, des dialogues. Mon rôle est celui d'une pute dactylographe. Je fais ce qu'on me dit. Je n'ai pas à critiquer. Et il arrive un moment où tout se termine. Généralement au cours d'une session de travail. un jour quelques heures. Parfois, l'idée se développe et il faudra plusieurs jours et quelques chapitres. 

- Critiquez-vous vos «idées» ?

- Socrate disait avoir un «démon» - c'était avant que le mot prenne la nuance chrétienne - qui lui soufflait ses idées. On disait que Descartes avait le sien. Le romantisme appelle ça «inspiration». Les poètes, peintres, écrivains en ont. Et Chopin fait transporter son piano sur la plage afin de bénéficier de l'air du large qui l'inspirera sûrement. 

- Et abîmera son piano.

- Je ne juge pas mes idées. Je suis seulement contant d'en avoir. Ou qu'elle vienne. Car ce n'est pas moi qui les ai. Elles arrivent. J'ai parlé des auteurs besogneux qui conseille, inspiration ou non, de s'installer à son bureau et de faire ses 500 mots par jour. J'en suis incapable. 

Entre le roman précédent Henry Dickson, celui parlant de château hanté, 

- Interrompu pour cause de guerre

- Ouais! Il s'est passé 20 ans. Je pouvais écrire des opinions - j'étais écrivain - mais pour romancer quoi que ce soit. Kaput. 

- Il n'y a pas d'explication?

- C'est comme ça. C'est pour ça que je suis soigneux avec mes idées ou mes muses ou mes démons. J'ai 1 idée à la fois. Si elle s'en va, il y en aura peut-être 1 autre ou pas. Et connaissant mon passé, sachant qu'il y a toujours eu 1 pause de 10 et la dernière 20 ans entre 2 romancement. Je comprend que lorsque ce sera le cas - et cette période fertile finira inévitablement - je serais mort lorsque l'inspiration reviendra. Alors s'il survient l'idée même si elle me semble dépasser les bornes, si le corps suit - il est parfois malade et de plus en plus abîmé - je vais au front.

Et mes «visions» si je les appelle ainsi sont actuellement beaucoup plus ou moins. Plus floue, moins précise que dans le passé. Et plus courtes. L'âge. Encore. Le cerveau qui s'en va. La mémoire aussi. 

Il y a eu des périodes où je commençais à écrire à 7 heures du matin pour finir à 6 heures du soir au souper. Et je m'étais donné comme consigne de stopper subitement car j'y aurais passé la veillée et n'aurait peut-être pas été en forme le lendemain. Et ceci durait des mois. Et l'effet était celui du rêve. Mêlé au rêvé éveillé. Et à ce qu'on décrit comme une psychose. Toi, l'auteur, ou qu'on désigne ainsi pour plus de commodité, commence à taper à la dactylo - ce dont je me servais à ce moment - et le bruit mécanique nous faisait plonger ailleurs. Et on n'avait qu'à décrire, transcrire ce qu'on voyait et entendait. Qu'on peut comparer à un film mais on pouvait se déplacer dedans et tout était aussi vrai que ce qu'on appelle la réalité et on sentait les émotions des personnages sur lesquels notre attention se portait et qui était en train de vivre - réellement - l'action. Et il suffisait d'écrire. 

Ça a été la période la plus belle de ma vie.

- Et la drogue $

- Pas besoin. Le cerveau la produit naturellement. Et les auteurs qui ont essayé - et ça marche - vieillissent de 20 ans ou plus. Parkinson. 

- Certains auteurs comme Moebius ont été déçu.

- Giraud/Moébius était 1 immense artiste. Si j'ai dit que Delacroix aurait fait de la BD à notre époque puisque sa peinture ne se vendrait plus. Moébius aurait fait de la peinture. Ce qu'on appelait la grande peinture, la peinture d'histoire, avec des chevaux, des combats. La peinture était très compartimenté et il y avait des artisans spécialistes de chaque genre. En haut, Delacroix. En bas, la peinture animalière ou les natures mortes. 

Mais Moébius pensait qu'en prenant du mescal il allait accéder comme Castaneda à des dimensions supérieures. Et il suffisait de prendre du champignon magique. 

Pour ça, les catholiques ont les mystiques. Mais c'est Dieu qui décide qui va s'unir à lui.

- C'est très

- Sexuel. Sainte Thérèse d'Avila. Saint Jean de la Croix. C'est tout à fait légal. Normal. Rien de farfelu. Dans les normes les plus strictes catholiques mais c'est pas pour tout le monde et on n'en parle pas trop. Comme le vrai chrétien est le saint. Les autres se pratiquent et font erreurs sur erreurs. Parce qu'on s'adresse à monsieurmadametoutlemonde qui ne comprendrait pas. Et il y a des choses qu'on ne peut pas comprendre et qui sont des mystères. Pas des mystères inconnus ou secrets mais des vérités révélés hors de notre portée. Malgré qu'à la messe, on assiste à la transformation du corps et du sang du Christ en ostie consacrée. Le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ. On apprend ça aux enfants de 5 ans. 

Le monde normal dont on nous parle n'existe pas. 

Et Giraud avait de naissance un talent exceptionnel. Non seulement comme dessinateur mais comme visionnaire. Il disait que lorsqu'il voulait représenter une scène mettons de saloon pour son héros cowboy, Blueberry, hop! Il la voyait. Les tables. Les gens. Il lui suffisait de dessiner ce qu'il voyait. Et il y a les infirmes, du genre Géricault qui disent ne pas être capable de représenter une vadrouille s'ils n'en ont pas une devant eux pour qu'ils la regardent. Tout à fait moi. Mon grand théâtre intérieur en ce qui concerne le dessin est un écran de cinéma blanc. D'autres, c'est comme la TV sur un poste qui n'existe pas. Ce qu'on appelait la neige. Je ne sais pas si ça grésille. 

- Et vous voyez les scènes lorsque vous écrivez.

- Je décris ce que je vois. Je ne peux pas écrire autrement. S'il n'y a rien, je suis incapable de faire apparaître quelque chose. Mais s'il y a quelque chose, il y a le son, les odeurs, la chaleur, les émotions. À côté, l'écriture du roman est tout à fait primitive. Elle ne rend qu'une partie de ce qui est visible. 

- Décevant ?

- C'est comme ça. Je n'ai pas ce genre d'émotion. Si ça ne m'amusait pas: aussi bien la vision que le résultat final, du genre: c'est moi qui ait fait ça?

Et on peut aller plus loin. Faire du cut-ups comme Burroughs 

Prendre un texte de loi. Médical. La définition du meurtre. Catalogue d'armes. Manuel de mode d'emploi d'objets divers.

Et rêvasser, fantasmer, halluciner dessus.

Surréaliser.

Dadaïser.


Voyons Wiki 
Cut-up, technique (ou un genre) littéraire, inventée par l'auteur et artiste Brion Gysin et le mathématicien anglais Ian Sommerville, et expérimentée par l'écrivain américain William S. Burroughs.
Un texte original se trouve découpé en fragments aléatoires puis ceux-ci sont réarrangés pour produire un texte nouveau. 
[Burroughs essaya aussi avec un magnétophone, enregistrant des voix ou des émissions et faisant défiler la bande pour l’arrêter ici et là et retranscrire le contenu ou même le mot nouveau créé par la bande débutant ou finissant abruptement. Ou lorsqu’il la faisait défiler à l’envers]
Le cut-up est intimement lié au mode de vie et à la philosophie de la Beat Generation définie par William S. Burroughs et Jack Kerouac. 
Il tente de reproduire les visions dues aux hallucinogènes, les distorsions spatio-temporelles de la pensée sous influence toxique 
(phénomène de déjà-vu notamment). 
Esthétiquement, le cut-up se rapproche du pop-art, des happenings et du surréalisme d'après-guerre (Henri Michaux par exemple) et de sa quête d'exploration de l'inconscient. 
Philosophiquement, Burroughs y voit l'aboutissement du langage comme virus
et l'écriture comme un lâcher prise de la conscience
 
Variantes:  
fragments de textes d’autres auteurs ajoutés aux portions découpées du texte original  (collages) 
plagiat qui est le vol littéraire d'un texte appartenant à un autre auteur. 
[Et c’est mal!] 
Ce procédé est à mettre en relation avec le principe du détournement néo-dada (déconstructionniste, situationniste) 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cut-up 
*
Origin and Theory of the Tape Cut-Ups 
by William S. Burroughs (1914-1997)
16 November 2007
 (…) recréer un texte à partir de bribes découpées et mélangées au hasard, utilisant parfois des fragments d’autres auteurs. (…) couper différentes parties d’un texte, le sien ou celui d’un autre, et de les combiner pour reformer un nouvel écrit, tout comme un collage en peinture ou le montage au cinéma.
http://www.larevuedesressources.org/origin-and-theory-of-the-tape-cut-ups-by-william-s-burroughs-1914-1997,847.html 
Voix de Burroughs 
http://www.larevuedesressources.org/IMG/mp3/Burroughs-William_Origin-and-Theory.mp3 
*
http://www.6bears.com/cutup.html
 
* 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cut-up 
cut-up  
créer un texte à partir d'autres fragments textuels de toute origine (littérature, articles de presse, catalogues de vente par correspondance...) découpés de manière régulière, et remontés selon une logique prédéfinie [ou aléatoirement], afin de faire émerger l'implicite, l'inavoué des textes de départ.
Associé aux routines (récurrences de fragments du texte) [refrain ?] tout au long d'une œuvre 
Objectif: briser la cohérence logique imposée au discours par l'emploi du langage, considéré comme structure structurante. 
Impression de semi-chaos 
et de déjà-vu initié par les routines 
permettant de se rapprocher, sur le plan formel, de la logique de perception d'un individu plongé dans un environnement (qu'il) ne maitrise pas  
L'ensemble a pour ambition de faire faire à la littérature la même révolution que celle de la peinture lors du passage à l'abstrait. 
[Et c’est raté!] [Mais on obtient autre chose]  
[Burroughs fait remarquer dans l'enregistrement que la peinture pratique les collages depuis 50 ans: Picasso, Braque.]  
[En musique, il y a l'échantillonnage. À partir d'enregistrement d'airs existants, de rythmes, de sons de la nature, des villes ou de l'industrie.] 
[Le texte exige d'être compris par l'auditeur ou le lecteur, on ne peut utiliser de sons bruts - Raôul Duguay -  l'a essayé - sans devenir fou - et l'auditeur ou le lecteur (ou leur esprit) exige de comprendre le texte - sauf dans certaines ambiances disons festives -avec Raôul Duguay. Raôul luôaR yauguD Duguay. 
 http://accueil.raoulduguay.net/ 
[Le texte lu et écouté sous forme d'incantation ou dans cette ambiance «orgiaque» peut dans certains cas avoir un effet opiacé tandis que le texte lu où ne figure que des lettres formant des blocs de lettres ne signifie rien. Il restera en surface opaque. Mais peut être un bel objet de collection si la typographie est juste. Car le texte a une très grande inertie ce que n'a pas la musique. Ou la peinture. Ou le dessin.] 
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un "générateur de cut-up"
 
http://languageisavirus.com/cutupmachine.html#.U4JBanJ5OSo 
This is a cut-up machine working along similar principles to those used by Burroughs in his own work. Basically it works along similar principles to photo-montage, create an new image of words out of whatever was put in.
- Et ça donne quoi ?

- On sort de soi. Au forceps. Et on n'est pas obligé d'attendre l'idée de son démon familier.  Car, autrement, toujours, on n'est que soi. Certains passent leur vie à se chercher, à comprendre  ce qu'ils sont. Mais une fois que l'on sait à peu près, si on devient assez vieux pour à peu près comprendre, soi, est d'un tel ennui. Sortir de soi aère.

- On en est encore au texte. On devait parler des dessins.