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Vie et moeurs de monsieur Henry Dickson

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dimanche

INTERROGATOIRE 2

LES NOMS

- Vous avez avez donc plusieurs noms. Au moins 2 ?

- Davantage.

- Vous ne trouvez pas ça suffisamment compliqué comme ça !? Vous n'avez pas peur que les gens ne s'y retrouvent pas ? Vous l'avez dit: un nom, c'est une marque. Ou ça peut en devenir une. Une marque, un logo, a une valeur. Ou peut en avoir une.

- Aucune importance. Je navigue à vue. Je n'ai pas de plan. N'en ai jamais eu. Je vois où le vent me pousse et me dirige comme je peux où il y a une éclaircie dans la forêt. J'ai découvert, par essais et erreurs - d'innombrables erreurs - je pense que je n'ai fait que ça dans ma vie - où.... comment dire: où ça va assez bien. Ce qui est tout de même mieux que pire. Car il n'y a pas de limite à la catastrophe et aucun fond lorsqu'on descend. Alors sur le bord du précipice, lorsque ça va assez bien, qu'il y a une brise légère.

- Très joli. Si vous faîtes une religion, je suggère un petit livre rouge - ça a déjà été fait - d'une autre couleur - vous feriez apprendre ça par coeur aux paysans. Et ceux qui n'y parviennent pas, un coup de pioche derrière la tête à la Pol Pot. À quoi sert un cerveau qui ne fonctionne pas ? Comme vous l'avez dit: le Ministère de l'Éducation, du Sport et des Loisirs fait face au même problème. Alors le prof devient animateur de foule comme dans les jeux TV en attendant que le candidat au chômage ait atteint l'âge légal des premières prestations. Où celui où, légalement, on pourra le mettre dehors avec un permis de travail pour faire du ménage. 

- C'est vous qui allez au devant de ma pensée.

- Donc si on ralentit.

- Je sépare ma vie privée et ma vie publique. Comme Jésus.

- Bon exemple. Malheureusement, ça a mal fini.

- J'ai un nom pour ma vie privée. Je signe des chèques avec. On m'envoie des comptes. Plus de comptes que de chèques. Et j'ai quelques amis. Je me sers du nom de ma naissance, que je n'ai pas choisi - mais je ne vais pas demander au Directeur de l'État Civil de changer de nom. Il n'est pas si laid que ça et on s'habitue. À bien y penser, j'aurais préféré un numéro.

http://www.etatcivil.gouv.qc.ca/fr/changement-nom.html

- Ne vous en faîtes pas, ça viendra. Un jour, ils implanterons une puce électronique sous la peau des bébés à la demande des mères. On le fait déjà pour les chiens. Où que vous alliez, on vous repérera. GPS incorporé. Actuellement, les puces n'envoient pas de signaux. On les détecte avec un lecteur, comme pour les codes à barres. Dès qu'on pourra, elles émettront. Ce sera le progrès. Les gens seront content d'être de leurs temps.

- Bon sujet de roman. J'y penserai. Quant à moi, c'est pour des raisons philosophiques.

- Vous n'avez pas peur que les gens se mettent à saigner des yeux comme la Sainte Vierge



Ici, la «culture» ressemble ou fait penser à la citation attribuée à Goering ou Goebbels (Ministre du Reich à l’Éducation du peuple): quand j'entend le mot «culture» je sors mon pistolet. Ou mon luger. Ou mon compte de taxes. 

http://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=1052

- Philosophie ?

- Je suis un lecteur de Cioran. Anarchiste. Nihiliste. Tout ça! Je ne sais pas s'il aurait apprécié ces catégories limitatives. Bon. Mais je suis d'accord avec lui. C'est pour moi le plus grand philosophe du siècle. Parce qu'il a raison. Il n'a pas de belles idées. Ou des idées nobles, progressives. Qui font avancer l'humanité. Il n'aime pas l'humanité. 

Et les idées ont des conséquences. Pour moi. Question: à quoi sert un livre de plus ? Et quelle différence ça fera dans le monde ? Et un livre de moins ? 

Il s'en publie des millions dans le monde chaque année. Et on parle pas de tout ce qui s'écrit. Sur papier. Et dans les airs. Ou les nuages (informatique). 

Les éditeurs ont résolu le problème: le surplus qui encombre va au pilon. Pour faire de la pâte à papier et du papier. Ou des kleenex. 

On ne fait pas comme dans le film Fahrenheit 451, de François Truffaut basé sur le roman de SF de Ray Bradbury où les pompiers brûlent des livres. On l’a fait tant de fois dans l’Histoire. Pas seulement les nazis. On ne parle que d’eux. Ça évite de penser aux autres. Aux USA, on a brûlé des BD qu'on accusait de pousser les ados au crime. Comme si on avait besoin de BD pour pousser les étasuniens au crime! L’Église catho. On brûlait aussi les auteurs. Les imprimeurs. Les libraires. Les empereurs chinois faisaient enterrer vivant les auteurs avec leurs livres déplaisant.

C'est pour de bonnes raisons, modernes, actuelles, bien de notre temps - économiques. Raisons (?) qui justifient tout à notre époque - qu'on en débarrasse les entrepôt, car les conserver coûte tant du pieds carrés. Même chose pour l'espace tablette en librairie. Le pouce carré coûte. Il n'y a pas de censure, de raisons politiques ou morale. Pas de sentiment. Ni de nostalgie. Autre émotion. Des raisons lucides d'efficacité. De performance. Comme les boites de petits pois passé date. Hop!

Et contrairement à un entrepôt de montres, même vieilles, si elle marche et même si elle ne marche pas, on peut les revendre. Une bâtisse pleine de livre ne vaut rien. La bâtisse vaut quelque chose, bien sûr, mais pas son contenu. 

1 livre à 20 $ neuf. Vaut zéro, Usagé. 3 mois après sa sortie. Ou même avant. S'il n'a pas eu de succès dans la vie. C'est comme American Idol, la Voix, les Jeunes Talents Catelli. Comme Jésus. Il y a peu d'appelés et encore moins d'élus.

- Mais en faire quoi ?

- Ici, les livres sont subventionnés. Il ne se publierait pas de romans sans l'État. Qu'on les donne aux bibliothèques municipales ou scolaires. 

- Bonne idée!

- Le pire, je ne sais même pas s'ils les accepteraient. Même les bibliothèques sont tout aussi incultes. On dit maintenant qu'elles ne sont pas là pour conserver les livres. La culture? L'éducation populaire. Il y a internet. Ce sont des centres de loisirs pour retraités où il y a, provisoirement (une série remplaçant une autre toute pareille), des livres best-sellers du Québec, de France ou traduit en France. 

On leur conseille de se débarrasser des livres qui ne sortent pas pour faire de la place aux nouveaux. Avec l'électronique on sait qui et quand et combien de fois chaque livre est lu. Même combien de temps. 

Même ce qu'on appelait les classiques. Un beau cas. Comme une maladie. Populaires ou savants. Jules Verne, Victor Hugo, Shakespeare. Démodé. Ça ne se lit plus. On peut même être plus précis. Il n'a pas été lu 1 fois en 5 ans. Hop! Il y a une date de péremption. Bravo Danielle Steele et son équipe de scénaristes. Marie Laberge. Ou Michel David qui est mort depuis 2 ans et qui écrit encore.

- Et ils vont où ces livres éjectés des bibliothèques ?

- Dans les marchés aux puces, les bouquinistes, les librairies de livres usagés. Les boites bleus de recyclage. 

Si un livre a de la chance, un collectionneur le gardera. Parce qu'il aime l'auteur, le sujet ou la typographie, la belle reliure. Ou on fera une sculpture avec. 





On peut faire une brosse à plancher avec un volume de l’encyclopédie Britannica. On visse un manche à balais dessus.

On se dit qu'il en reste au moins 1 exemplaire dans la Grande Bibliothèque avec le Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada. BANQ Bibliothèque et Archives Nationales du Québec. 

Mais je suis sûr, qu'eux-aussi, un jour, lorsqu'on coupera encore leur budget, devrons décider quoi conserver. Et on aura les critères logiques lorsque le moment sera venu.



http://www.bac-lac.gc.ca/fra/services/depot-legal/Pages/depot-legal.aspx

- Vous n'étiez donc pas trop trop motivé à écrire ou publier.

- Ce n'est pas la même chose. On peut écrire ou non. Se contenter de rêver à des histoires. Ou les conter à quelqu'un. 

Si on veut être reconnu comme «auteur» par le milieu intello - si on a cette forme de vanité. Ça se complique. Il faut passer par le crible ou la passoire du comité de lecture des maisons d'édition. En France, Gallimard dit qu'il choisit 1 manuscrit sur 1000. Ce qui est supposé signifier que c'est le fin du fin, la fine fleur de sel, le meilleur du meilleur. Mais c'est toujours ce que le comité de lecture aura choisi. Et ce que l'éditeur aura pensé vendable. Parce que ce sont des entreprises comme les autres. Et au bout, les produits qui sortiront de l'usine à romans qu'est la maison d'édition auront tous un air de famille. Passé par le même système, la même machine à saucisses. Parce qu'ils auront été révisés, corrigés, améliorés par la même personne. Généralement une par éditeur qui suit le manuscrit de bout en bout, si on est sérieux, et selon leur prétention: pousse l'auteur à aller au bout de lui-même. Comme dans les Jeux Olympiques.

Les français ont fait longtemps cette blague stupide au sujet des femmes qui s'entêtaient à écrire. Et à vouloir féminiser le métier: écrivaine. Il y a le mot VAINE. Vanité. Colifichet. Babiole. Poule de luxe. Tout à fait la bonne femme type qui comme les indiens ou les perruches aiment les miroirs qui brillent et sont prêtes à vendre leur cul - pour les indiens, ce fut leur territoire - pour une poignée de miroirs et de billes de vitre de couleurs. Ce que disent les livres d'Histoire. Pour les indiens. Ce que disent les machos pour les femmes. Trop cons pour se rendre compte que le mot VAIN est aussi dans écrivain. 

- C'est pas trop encourageant.

- Je n'étais pas trop encouragé.

- Mais vous auriez pu faire le bonheur de l'humanité. Ou vouloir changer le Monde. Sauver les travailleurs. Améliorer l'Homme. Ou la Femme. Il y a des tas de gens que ça motive.

- J'ai dit que j'étais un lecteur de Cioran. Et il est aussi misanthrope que moi. Pour moi, l'Homme est une vermine stupide et malfaisante.

- Donc si on veut rester positif: de bonnes raisons de l'améliorer.

- Mais il est parfait comme il est. Le requin est parfait. Le scorpion aussi. Il suffit de ne pas se trouver à proximité. Et personne ne s'intéresse à ce qu'il est ou ce qu'il fait ou ce qu'il a fait. Parce qu'il ment tout le temps et raconte le contraire de ce qu'il fait ou a fait. Donc on ne se méfie pas. Comme si c'était voulu. Parce que si on commençait à se méfier.

- Il y a les Historiens.

- Les Historiens font de la littérature et de la poésie. Une autre sorte de romans. Mais ils se prennent au sérieux. L'Histoire n'est pas une science mais une idéologie, une incantation, une arme. Destinée aux puissants afin de justifier leur puissance, les actes de cette puissance. On oublie certains parce que ce n'est pas très beau ou on les montre de leur bon profil avec de jolies mots. Très utiles pour les faibles et les vaincus et les perdants s'ils se plaignent.

L'Histoire, c'est autant ce qu'on dit et ne dit pas et comment on dit ce qu'on dit. Parce que ce n'est jamais n'importe comment. Et l'Histoire, c'est aussi aujourd'hui. Voyez ce que les médias officiels - remplis de poètes- disent de la Syrie ou de l'Ukraine. 

Ici, il y a l'Histoire des Conquérants. Encore à Ottawa. Qui dirigent les conquis. Ici. Et, ici, on a une Histoire. Qui ne fait pas non plus l'affaire des collabos qui ne veulent pas mécontenter les envahisseurs. Qui font une autre Histoire. Et disent que les précédents font de la politique. Et disent que si on l'enseigne aux enfants dans les écoles, on fera de la propagande péquiste. Comme si on enseignait quelque chose dans les écoles des vaincus. Il faut oublier que l'occupation dure depuis 1760. 

Il n'y a pas qu'eux. L'Église. Ou, celle de notre époque, l'économie. Une autre forme de littérature. Et de propagande. 

Toujours de la part des amis des vainqueurs. Toujours tout le temps, destinées aux vaincus qu'on plume et qu'on tond. Les vainqueurs, ceux d'en haut, n'ont pas besoin d'expliquer, de se justifier, ils sont les plus forts, il sont en haut, intouchables, ça suffit. Ils dirigent ou font diriger par des serviteurs pigistes. Interchangeable. Recyclables. Et ils y a des spécialistes serviables qui causent. C'est toujours la même chose. Parce que le besoin est toujours le même. Convaincre les moutons.

- Alors ajouter votre voix au Monde ? Contribuer à ...

- Comme les filles des écoles chics qui vendent du pain pour se ramasser de l'$ afin d'aller voir des pauvres au Pérou. Oh! Un pauvre! Comme il est mignon! Oh! Un tas de pauvres. Un village de pauvres. Un bidonville de pauvres. Comme s'il n'y avait pas de pauvres ici. Quoique le mot soit pas P.C. Il n'y a pas de classe sociale ici, non plus. C'est très bien fait.

- Elles n'ont pas de mauvaises intentions.

- Elles ont des tas de bonnes intentions. C'est tout ce qu'elles ont. Elles veulent améliorer le monde. Les filles intelligentes et gentilles ne peuvent pas s'empêcher de faire ça à 16 ans. Ou de s'imaginer pouvoir le faire. Mais elles n'ont aucune compétence en rien. Si vous voulez faire parti de Médecins du Monde. Médecins sans Frontière, on regarde votre CV. On ne choisit pas n'importe qui. Donc elles vont polluer l'air, dépenser aller-retour pour ce voyage l'équivalent du budget d'un village de pauvres pour un an. Finalement, elles vont se sentir bien. Elles auront fait une bonne action. Ce ne sera pas pour le Ciel parce qu'on n'y croit plus. Mais pour son accomplissement personnel. Comme lorsqu'on fait de l'exercice physique. Un régime. Son tonus mental ou sentimental. Comme les plus vieilles qui iront faire le pèlerinage à Compostelle. Ou iront escalader l'Himalaya. Avec 40 pauvres - les sherpas- pour traîner leurs bagages. Parce que c'est 40 000 $ le billet. 

- Alors l'écriture, niet!

- C'est là que ça se complique.

- Parce que vous écrivez, en effet. Et ne semblez avoir aucune explication pour justifier cette activité. Votre manière de gravir l'Éverest. Une compétition. Comme d'autres font leur jogging ?

- Je ne suis pas très gai. Dans tous les sens du terme. Il y a quelqu'un qui m'a dit que lorsqu'il me voyait, il avait l'impression qu'un nuage noir était au-dessus de ma tête.

- Comme dans Astérix. Le Devin, je crois...

- J'ai découvert que lorsque j'écrivais, c'est le seul moment de ma vie où je me sentais bien. Ou à peu près. 

- Motivation très peu intellectuelle ou culturelle. On n'est pas loin des bracelets en pur noisetier. 


http://www.marcel.ca/

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