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Vie et moeurs de monsieur Henry Dickson

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lundi

INTERROGATOIRE 3

DOUTEUR

- Le premier nom ?

- Oui.

- Pourquoi faire simple quand ?

- La raison - si c'est de ça qu'il s'agit

- Vous-même en doutez ?

- En ce qui concerne l'Art et en ce qui concerne mon opinion au sujet de ce qui concerne l'Art, il y a longtemps

- On pourrait dire, si on parle de logique, que c'est normal, si on parle de normalité, lorsqu'on sait que la majorité des artistes (comédiens, chanteurs, humoristes, écrivains, peintres, etc.) sont dépressifs, maniaco-dépressifs ou pire. Tiens! Psychotiques.

_ Pourquoi pas tueur en série !?


- Dit simplement: aucune personne «normale» ne s'engagerait dans ce genre de métier.

- À la base. C'est un job suicidaire. Et n'y vont que des gens dont le goût de vivre n'est pas la préoccupation première. Un professeur d'université d'une faculté d'Art - peu importe comment ça s'appelle aujourd'hui - disait: À la fin des cours, il y aura 100 finissants. Dans un an, il en restera 10. Dans 10 ans: 1. Et les jeunes pleins de talents y vont quand même: en sachant plus ou moins clairement ce qui les attend. En se débattant pour survivre. Ce qui n'est déjà pas si simple dans un pays capitaliste. Et s'il faut inventer quelque chose. Et inventer du nouveau. En plus.

Et tous les ans, il y a probablement 1000 artistes. 100 comédiens, 100 peintres - peu importe comment ça s'appelle aujourd'hui. 100 danseurs. 100 chanteurs. 100 musiciens. 100 écrivains. Peut-être plus étant donné le nombre d'académies officielles. Post-Cégep. Ou universitaires.

Comme les bébés tortues rampent dans la plage de sable pour retourner à la mer. Traversant l'autoroute. Crounch! Et lorsqu'ils ramperont sur le sable avec leurs petites nageoires: festin ou cocktail dinatoire pour les goélands.

- De l'autre côté, il y a les autres: le genre qui fait un cours de communication à l'Université - non contingenté comme les cours qui coûte cher (avec des labos, des appareils qui font bzzz!) et donnent de vrais jobs à vie au bout du marathon. Mais qui sont la bénédiction des universités parce que ça ne coûte rien parce que donnés (le mot convient presque) par des attachés de cours, des apprentis profs, eux-même élèves, qui se pratiquent sur des élèves vivants. Avec un tableau, une craie et des feuilles de papier.

Et il n'y a pas que ce cours en particulier il y a tous les autres du même genre : suffit de compter les cours ou parcours ou crédits ou certificats ou les salles occupées les mêmes profs amateurs. Il y a certaines universités qui se vantent de donner 10 000 diplômes par an. Sans être gênées ou timides. Comme si c'était un concours. Tout ça rapporte tous ces beaux frais d'inscription. Presque pas de dépense.

Et les étudiants de l'usine à crédits (payé à crédit) (j'ai pas pu m'en empêcher) qui n'ont rien compris. Comme si quelque chose leur était dû. Se plaindront s'il n'a pas de job en disant que c'est la faute au baby-boomer qui ont leur ont tout pris. En plus de se réserver les meilleurs jobs - problème: Ils étaient là avant. Le critiqueur n'existait pas à ce moment ou il portait des couches. Et ils continuent. Ce qui démontrent l'état de leur Q.I. et ce qu'ils ont appris de la vie et le fait qu'ils sont à leur vraie place dans cette vie. En bas. Et d'en bas, ils se plaignent encore: Ils - pas eux- auront toutes les pensions. Ouvrez une radio et leurs plaintes sont déjà là. 20 ans et ils pensent déjà à leur pension!

- Revenons aux artistes suicidaires.

- Donc, il ne restera donc que. Revenons à nos moutons. Ou on était ?

- Tout peut être simple mais ce n'est en aucun cas une indication que le résultat serait simple... et c'est souvent surprenant et illogique, lorsqu'on regarde comment on en est arrivé là. D'où l'utilité de ce questionnaire qui pourrait être sous une autre forme, un rapport d'enquête

- 2 noms.

- Plus.

- Vous disiez que vous étiez nihiliste: ne croyant pas à l'art, ni à rien du tout.

- Je suis un lecteur de Cioran. Il a tout dit.

- La vie n'a pas de sens?

- Je n'ai jamais cru que la vie avait un sens. Et ce n'est pas aujourd'hui que je vais tomber de ma chaise lorsque cette idée, subitement, passera devant mes yeux.

- Les hommes ont besoin de sens. D'avoir une vie qui a un sens. Avoir une vie ou vivre ou respirer ne suffit pas.

- Ce qui fait que les Hommes en inventent un avec des mots. Ils ne peuvent pas s'en empêcher. Ils le font en groupe et ça donne des partis politiques, des religions, des idées économiques. Ou individuellement. Et on a des poètes.

- Ce qui n'explique pas que, malgré vos convictions profondes, comme ils disent.

- Il y a de grands artistes qui ont fait des oeuvres immenses. Dans tous les sens du terme. Quantité. Valeur. Expressivité. Wow! Des hommes avec une énergie incroyable, une puissance de travail, un esprit vaste, des dynamos. Qui produisaient sans cesse des quantité presque infinies d'objets. Pour simplifier.

Si on était dans le beau linge des vernissages de galerie d'Art: on dirait «objets culturels». Ce qui ne simplifie rien. On dira des chefs d'oeuvre. Ce qui n'est pas plus clair. Du moins à notre époque. Ou on a décidé de démystifier l'Art. Ou les artistes.

Avec en plus un talent reconnu depuis des siècles. Qui ont, parfois, changé une culture, créé une nouvelle. Donné naissance à une civilisation. Qui sont le stock de base des plus grands musées. Attirent des millions de visiteurs.

Au hasard: Michel-Ange. Bernin. Rembrandt. Alexandre Dumas. Picasso. Jack Kirby. Ici. Victor Lévy-Beaulieu.

- Beau mélange.

- On aime ou pas. On est toujours du côté du public. Du spectateur. Aucune importance. Le critique fait parti du public. Je ne parle pas de ça. Mais de ces oeuvres gigantesques. Haut voltage. On se sent petit à côté. Phrase banale. C'est niaiseux mais.

- Et vous en faîtes parti ?

- Ben, c'est pas moi.

- J'attendais le moment où vous alliez dire que vous étiez un génie. J'espérais que vous continueriez en disant que vous étiez un génie incompris. Même pas. Et ça vous fait de la peine! Le sort, le Destin n'a pas voulu de vous.

- J'ai du talent. Un petit. Rien à comparé avec les grands monstres dont j'ai parlé. Mais assez pour que je compare. Ça fait parti des choses dont on ne décide pas. Si on décide quelque chose.

- Et vous avec compris quelque chose de cette idée ou constatation ?

- De temps en temps, pas souvent, j'ai ou il arrive - c'est pas sûr d'où ça vient - une idée. Quelque chose d'évident.

- Et ?

- Je suis content.

- Mais pas souvent ?

- Chez-nous, il n'y avait pas de livre - je ne vais pas vous faire la complainte des fils d'ouvriers- sauf ceux d'une tante en cadeaux à nos anniversaires. Je me souviens d'Hergé. Pas Tintin. Un autre: Comment dessiner. Avec des reproductions de grands maîtres. Et à l'école, dans le Larousse du moment: en fouillant dans la section des «noms propres» ou noms de famille, un petit carré, format photo de permis de conduire, plus petit: Michel-Ange. Une reproduction. Le cri du loup! J'avais jamais vu ça. Je ne savais pas que c'était possible. Comme si je faisais parti de la famille. Que je me reconnaissais. Que je trouvais enfin une place. Mais l'époque est compliquée. Moi aussi .Et le temps passe. Ce n'est que tard - du moins pour moi - que j'apprend encore une fois qui je suis et, enfin, ce que je peux faire. Et je fais. Un peu. Pas longtemps. De temps en temps. Et que j'apprend que je serais content.

- Je résume: vous êtes d'un côté grincheux, athée en tout. Et de l'autre: jovialiste.

- Même quand je dessine, il y a cette voix qui dit: à quoi ça sert ? Tout sera détruit! Rien ne restera.

- C'est encore pire que je pensais.

- Remontez dans le temps et regardez ce qui reste. Le Temps. Les lettres majuscules sont importantes. La Nature. Et comme si ça ne suffisait pas. Les Hommes. Ce qui a survécu a été oublié dans le sable après qu'on ait incendié tout ce qu'il y avait dessus. Ce qui reste est ce qu'on n'a pas eu le temps de détruire. Le Temps. La pluie. L'humidité. Le froid. La glace. La chaleur. L'eau. Le feu. Le vent. La Nature tue tout le temps. Recycle tout. Change et transforme tout. Tout aurait séché, craqué, pourri. Les souris et les insectes dans les livres en papier. Mais pourquoi attendre? Mais c'est encore plus amusant quand on met volontairement le feu et qu'on danse tout autour. Il n'y a pas 70 ans, 100 millions d'hommes se sont entretués. On parle des soldats. Boucherie. 60 millions de morts. 100 millions de blessés. La majorité des morts et des blessés: des civils. Des villes avec des montagnes de chefs-d'oeuvres incendiés. Des villes millénaires qui étaient des chefs-d'oeuvres. Ceci, 20 ans après la boucherie d'avant. 20 millions de morts. Cette fois, majorité de soldats. Des tas de villes bombardées. Mieux qu'avant. On industrialisait. Rien comparé à après. Le temps que les femmes pondent. Et voilà une autre génération de soldats prêtes à tuer pour la paix et la liberté. De toute beauté. Et il y a un autre après. Après, c'est demain. Et de nos jours, la technique a fait de tels progrès dans le meurtre et l'industrie du massacre. Et, regardez les nouvelles: on est prêt à remettre ça en chantier. Alors faire un truc sur du papier, considérant l'environnement.

- Et il y a toujours cette petite voix - disons celle de Cioran. Qui dit: Ça sert à quoi ?

- Et il n'y a pas de réponse.

- Jamais.

- L'idée de passer à la postérité ?

- Que des ministres mangent des sandwichs en regardant ce qui n'a pas fini dans les poubelles à ma mort et qu'on aura jugé bon d'afficher dans un musée. Que les ministres disent du bien. De belles paroles. Qu'on me donne une médaille posthume. Qu'on nomme un pont qui tombe à mon nom. Une école dont le toit coule.

- Ça motive.

- Il y a des gens qui ont des personnalités multiples. C'est une forme de folie. Une folie qui ne sert à rien. On dit que les tueurs en série sont comme ça. L'étrangleur de Boston.

- Et ?

- Pourquoi ne pas s'en créer volontairement ?

- Pour étrangler des filles ?

- Plus simplement pour - je ne dirais pas créer - j'ai reçu une éducation religieuse - les mots «créer» «créateur» me gênent. Disons: inventer. Produire - ça fait moche. Un peu trop humble pour moi. Disons: fabriquer!

- Un qui grogne. L'autre qui fait des bulles.

- 2 identités. Avec 2 noms. Le nom commun, que tout le monde ou les gens des environs connaissent. Utilisable la plupart du temps. Lorsqu'on essaie de vivre. Ce qui n'est pas facile ni amusant. Et l'autre nom, lorsque, pour des raisons que je ne m'explique pas, il y a des idées qui arrivent.

- Vous n'avez pas pensé faire comme ces écrivains qui disent que pour éviter la panne ou la panique de la page blanche - classique chez les auteurs - font leurs 500 mots par jour. Inspiration ou non. C'est ce qu'ils disent. Ils sont là à leur bureau à écrire - on ne sait pas quoi - mais c'est 500 mots.

- J'ai essayé. Alors je reste là. Et il n'y a aucun mot. Et j'ai envie de vomir. J'écris parce que j'ai décidé d'écrire: il était une fois. J'écris: la femme marchait sur le trottoir et.

- Et ?

- Rien.

- Et au bout de quelques heures

- Et au bout de 20 ans.

- Pendant 20 ans. Rien.

- Entre mon roman précédent et le suivant: Rien. Et les essais périodiques entre 2 envies de vomir sur la feuille de papier: Il était une fois. C'était la nuit. Rien.

- Et une idée arrive tout à coup.

- Tout à coup, j'écris comme je pisse.

- On ne mettra pas ça dans les livres de littérature destinées aux écoles. Ça ne fait pas sérieux. Si on enseigne encore quelque chose de ce genre. Coller des bâtons de popsicle suffira.


- Là, on est déjà trop loin dans le temps. Les générations futures. Faire parti d'un manuel. Et c'est arrivé, il y a pas si longtemps.

- Plusieurs personnalités = plusieurs noms.

- Ou le contraire.

- Vu qu'on est dans l'historique des noms. Il manque des dates.

- Avant ce nom-là, il y en a eu un autre. Utile. DOUTEUR.

- Vous faites une différence?

- Entre écrivain et romancier. Chaque nom a une utilité. Pendant tout ce temps, je ne pouvais romancer mais je pouvais écrire. Et j'écrivais. Des notes. Des idées. Je recopiais les idées des autres sur l'Art, la littérature, comment faire un roman. Même si je trouvais que le roman était un genre dépassé. Éducation permanente.

- Maso.

- J'étais tenté. Mais je n'y arrivais pas. le mot «impuissance» qui s'applique ailleurs pour d'autres fonctions physiologiques est exact ici en ce qui concerne le cerveau: je ne pouvais pas écrire de roman. Même si j'essayais.

Et j'avais de bonnes raisons, celles de tout le monde, pour trouver que ce genre littéraire avait trop vécu. Il y a les films - le roman date d'avant. Avec le théâtre. Et la TV. J'ai lu énormément de romans quand j'étais jeune. Je ne faisais que lire. Puis le goût m'a passé.

- Et vous en écrivez ou vouliez en écrire ?

- Je lis encore beaucoup. Pour moi, un livre d'Histoire, une bio, un doc sur l'économie, c'est du roman.

J'ai lu qu'un auteur du début du XXsiècle, lorsqu'il a vu que le cinéma silencieux en noir et blanc devenait parlant a pensé qu'il était foutu. Comme les acteurs du muet. Il avait raison. Ça a pris seulement un peu plus de temps. Avant, la majorité des gens ne savaient pas lire. Il y en a qui écrivait. Quand de plus en plus de gens ont su lire, de plus en plus de gens écrivaient, il y a eu des journaux et des feuilletons dans les journaux. Et lorsqu'à peu près tout le monde a su lire (tous ceux qui pouvaient l'apprendre = la moitié de la population) est arrivé toute sorte de nouvelles distractions au sens Pascalien (c'est mauvais car ça éloigne du Salut) et techniques et appareils de communication: à commencer par la radio, la TSF, le téléphone. Mural.

Même si les gens savent lire, ils préfèrent rester assis et regarder un écran où il se passe quelque chose. Lire demande un effort. Et quand on n'a pas compris le truc pour lire un roman - il y a un truc ! - on n'entre pas dedans. Il y encore des lecteurs. Surtout des lectrices. Mais à côté de l'ordinateur, du téléphone portable, du film, de la TV, des jeux vidéos, des dessins animés, de la BD, des jeux interactifs sur table, jeux de cartes, billards. Concurrence.

- De plus en plus d'écrivains et de moins en moins de lecteurs.

- Ils finiront comme dans les clubs et salons littéraires de duchesse à se lire les uns les autres pour finir par en parler.

- Faut être maso pour s'entêter.

- Mais s'il y a la tentation. Ne pas oublier les petites tortues de mer et le côté suicidaire des artistes.

- Et vous vous entêtez avec vos petites nageoires.

- Toute ma vie, j'ai tenu un journal. Non un journal personnel : ma vie n'a aucune importance et elle m'ennuie mais une sorte de journal intellectuel: ce qui me passionne, mes idées, celles des autres. Sur papier. Dans de grands agendas ou livres de rendez-vous de bureau relié 81/2 X 14.

Agenda quoditien Traditional Blueline couverture rigide
Collection Traditional
C530B.2015


. Et je collectionnais des crétins.

- C'est nouveau.

- Journaux. Revues. Lorsqu'un crétin passait. Un cave qui disait des trucs de cave ou faisait des trucs de cave ou même des trucs de cave sans attribution à des crétins - généralement, ils se cachent. Je découpais. Et j'empilais. Parfois, il y avait aussi des trucs intelligents. Mais il y en a moins. Je ne découpais pas tout ce qu'ils y avait de crétins: il y en a trop. Et ce n'est pas le genre de truc qui remonte le moral. Mais lorsque le moral était bon. Lorsque mon côté chasseur de crétin - qui est encore là - s'éveillait. C'est comme un renard qui voit passer un lièvre ou un chat avec une souris. Le ciseau. Je coupe. Je taille. J'en ramassais jusqu'à ce que j'en ai trop. Comme les crétins finissent par prendre de la place, au bout de quelques années, je les jetais. Et je recommençais. Jusqu'à ce que ça prenne encore trop de place.

- Vous ne regrettiez pas ?

- Si. Et si j'avais eu plus de place, ils seraient encore là. Ils me manquent un peu. Comme je me souviens - vaguement - il y avait de quoi faire un roman ou une nouvelle par article découpé. Il y en avait des beaux. Nostalgie.

- On dira qu'un crétin en remplace un autre.

- Plus on vieillit, plus on découvre que c'est vrai. Ils se reproduisent. Se réincarnent. Se clône. Sont la preuve qu'il y a une vie après la mort et que le Bouddhisme a raison. Et, avant même que je les découpe - il y a probablement là un acte manqué ou un acte qui remplace un autre: si le docteur Mailloux passe, je lui demanderai. Donc, avant, il y avait plein de petits Frères Maristes agressifs. Des décennies passent et je les écoute à la radio. Le même âge. La même foi. Mais en autre chose. Le Marché. La liberté du Marché. La Droite. L'Économie. Des croyants.

Et, ensuite, je lis des crétins.

- Vous pouviez lire autre chose?

- Je lisais autre chose. Mais ils étaient partout. La plupart des gens ont leur propre définition. Ils passent au-dessus ou à côté. Moi, je les collectionne. Ou leurs pensées. Ce qui prend moins de place.

- Ciseau. Papier. Dossiers. Poubelles.

- Avant le recyclage. Et c'est alors qu'est arrivé Internet. Une quantité infinie de crétins. Un univers de crétins. Le Monde et tous ses crétins à vos pieds. On peut même les classer ou les chercher par catégories. Et le moyen de les stocker. De les collectionner. De les retrouver. Sans que ça prenne de place. Mais à ce moment, avant, je ne le savais pas.

- Ils vous manquent.

- On va dire que j'ai trouvé mieux.

- Ils vous manquent ? Maso. Syndrome de la femme battue qui revient vers son agresseur.

- Ils ne menaçaient pas. Contrairement aux Frères Maristes. Et ne pouvaient pas nuire. Ni même essayer. Il y a des gens qui collectionnent des plaques d'égout. Ils les volent ou les empruntent à une rue. C'est le genre de chose qu'on fait sans pouvoir s'empêcher de le faire. Et même si on se promet de ne pas recommencer: on recommence.

- Donc vous découvrez Internet.

- Et toutes les choses intelligentes qu'on y trouve. Et toutes les choses stupides.

- Pour vous, ce n'est pas un moment d'angoisse. Le sentiment d'être surchargé d'information ?

- Je ne comprend pas qu'on puisse savoir trop de chose. Il y a seulement le fait qu'il y a trop de choses à connaître dans le peu de temps qui nous est donné ou qui nous reste. Aussi. Les gens qui disent qu'on est submergé d'information - on entend tout le temps ça - c'est comme l'incantation sur les baby-boomer - sont des crétins. Pour quelqu'un d'intelligent, il n'y a jamais assez de faits, de nouvelles ,d'information. Et même s'il y en a beaucoup - même si on ne pourra jamais tout lire en 1 vie - il n'y en aura jamais trop. Y a t-il trop de nourriture dans un supersupermarché ? Ou trop de blé dans un champ de blé ?

- Vu comme ça.

- C'est vu comme ça. Et les lamentations sur Internet. Même chose. Je ne dis pas qu'il y a des inconvénients et des défauts - il n'existe rien de parfait. Et si une chose paraît parfaite, c'est que c'est trop nouveau pour qu'on ait découvert les inconvénients. Et s'il y avait eu l'ordinateur et Internet dans mon enfance, je serais autiste. Encore là dans un coin, le même coin, des décennies plus tard, la tête dans le TUBE. Comme disent les anglo. En parlant de la TV. Comme si c'était mal.

- Il y avait un film US où il y avait un personnage ou un objet vivant qui était un écran d'ordi Mac d'il y a 20 ans qui avait pris vie. Il répétait tout le temps: more info! more info!

- Je me reconnais très bien là.

- Donc arrive, par étape: l'ordinateur

- Qui changera ma façon d'écrire (mais on expliquera plus tard). Plus tard: Internet. Plus tard: jouer dans Internet. On en reparlera. Avec la possibilité irrésistible de tout connaître. Une illusion ? Je suis de l'époque où si on voulait savoir ce qui se passait à Gaspé, si on voulait y aller, on y allait et on découvrait sur place ce qu'il y avait à voir. Ou fallait écrire une lettre avec un timbre ou téléphoner au Conseil Municipal. Et attendre qu'on nous envoie par la poste un dépliant avec les activités possibles. Ou on s'abonnait à une revue parlant de ce qu'on voulait savoir. Ou on allait à la bibliothèque. Mais dans un village, il n'y en avait pas. Dans une école, primaire - rien. Secondaire - pas une grosse. Dans un Cégep, oui.

- Alors arrive Internet.

- Puis arrive Google. Et toute la famille Google.

Les premiers sites - avant Google - que j'avais vu - avant Facebook - il y avait des gens qui se bricolaient un site où ils montraient leur maison, leur jardin, leur famille et leur chat. Ça n'a pas changé. On les traitait d'égoïste, de vaniteux. Comme ceux qui font des selfie. Des photos d'eux-mêmes avec des amis ou des décors parce qu'ils veulent être avec ou dedans. En garder un témoignage. Morale à 2 cennes. Les Frères Maristes reviennent avec le péché.

Ou des sites de discussion pas d'image. Avec des tas de questions et des tas de réponse. Des lignes et des lignes. Fallait être fan ou universitaire pour apprécier.

- Spartiate Zen.

- Et lorsque ça a été possible, j'ai dit: pourquoi pas moi!?

- En effet. Pourquoi pas! Des millions de gens se sont dit la même chose. Mais quoi y mettre ?

- C'était la seconde question.

- Et vous avez réfléchi longtemps, pris la meilleure décision possible ?

- Pas du tout. J'ai foncé. J'ai bricolé un site. Puisqu'on m'invitait à le faire. La plupart du temps, je ne savais même pas ce que je faisais. Je cliquais. Je répondais oui. Et quand je ne comprenais rien à rien, je laissais de côté, en espérant que ça n'explosera pas.

- Exploser !?

- J'ai suivi quelques cours d'ordi. Avant. À l'époque, c'était Word Perfect 4 - les ordi avaient 40 meg - avant Internet. C'était le progrès et le futur. Pour moi! Avec des formules à retenir: Alt + machin. Ou des cours sur comment faire des sous-fichiers sans que je comprenne rien de ce qu'on me disait. Parce qu'on n'était pas foutu d'annoncer comme il convenait ce qu'on allait montrer.

Et, un jour, une personnes avec qui je prenais un cours, au tout début, pour faire le finfin, a joué au piano sur le clavier. Et boum! Ou rien. Pas d'explosion. Mais par hasard, il a trouvé le moyen de faire sauter le disque dur. Ou l'effacer. Ou tout comme. C'est pour ça que je parlais d'explosion. Pour l'image. Le prof a été incapable de refaire partir son ordi. C'était amusant.

Alors arrive Internet. Google. En bricolant, je fais un site Internet.

- Ensuite?

- Je ne savais pas quoi en faire.

- Bravo.

- Et, avant, dans les instructions, dans les étapes de fabrication, il y avait l'étape indispensable où il fallait donner un nom. Quel nom?

- Certainement pas le vôtre!

- Pour les mêmes raisons que toujours. Alors j'ai inventé un mot. Qui me semblait convenir. Google l'a accepté comme adresse. Bien sûr, je n'inventais rien. Le mot existait depuis longtemps. Même s'il était rare. Et il y avait même des gens dont c'était le nom de famille.

- DOUTEUR

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